Ma naissance
En ce mois d’octobre, la brise qui flottait dans cette nuit calme et aveuglante était tout à fait douce et agréable. Le voile aveuglant de l’obscurité estompait les couleurs chaleureuses de l’automne qui gagnaient peu à peu les terres de la région endormie à cette heure avancée. Le seul bâtiment encore éclairé dans cette mosaïque noire allait être lieu d’un miracle.
Mère sentait la vie se réveiller en elle et campait déjà depuis un moment sur sa couchette, allongée par-dessus les draps pour ressentir la fraîcheur ambiante. L’évènement semblait imminent pour elle ; elle le savait aussi bien qu’elle sentait les mouvements répétitifs de plus en plus acharnés. Sa conscience était en alerte mais la seule chose dont elle était capable était d’insister auprès de la sage-femme qui lui faisait face et qui la regardait d’un air apaisant, ce qui n‘était pas approprié aux circonstances.
Alors le débordement se fit sentir- la goutte d’eau qui fait déborder le vase, plus communément dit- en effet, l’ultime contraction fut sauvage, la laissant échapper un cri étouffé par la douleur.
A ce moment-là, la sage-femme se décida et vint tirer le brancard jusqu’à elle, puis le poussa dans l’allée pavée de blanc à destination de la salle de la création. La double porte céda au passage de l’engin et mère put accéder à son atelier. Le brancard fit un demi-tour et on installa le nécessaire. Une fois prêt, l’action se passa en une poignée de minutes. Je naquis la tête la première, ce qui est pour moi le sens de la vie. En contact avec l’air, ma peau fine et fragile s’adapta. Après un effort considérable, je me retrouvai sur le drap blanc – et non pas sous. Mes poumons neufs s’activèrent et respirèrent, la sensation fut de loin un soulagement. Mes paupières à leur tour s’ouvrirent lentement, l’espace se constitua, devancé par la lumière qui pénétra dans la rétine tel un éclair de feu. L’organe visuel se contracta puis se fit à cette entité lumineuse après neuf mois d’internement.. puis, pour finir, ce fut le corps tout entier, les muscles, qui bougeaient sans raison plus à but expérimental qu’autre chose, les mains qui se crispèrent, les pieds, les bras, qui s’étirèrent.
Des cris, la préparation de la voix. Les pleurs, la préparation du mental, l’affront. Enfin sorti de ce tunnel noir mais protecteur, fondu sur le monde , mon existence s’était élancée et ne retomberait qu’au terme d’une vie.